Coeur de bois

Auteurs : Henri Meunier et Régis Lejonc ; illustrateur : Régis Lejonc

Un petit garçon de 8 ans 1/2, en regardant juste la couverture, sans que l’histoire ne lui soit lue, a dit : « On dirait un cœur qui va dans la forêt ». J’aime bien faire confiance à la première impression, surtout à celle des enfants. œur de bois est l’histoire d’Aurore, une femme d’une quarantaine d’année, qui aime prendre soin d’elle, quoi qu’elle fasse. C’est un matin comme beaucoup d’autres, sauf que celui-ci nous est raconté. 

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Tout est précis et choisi, rien n’est laissé au hasard, même si, dans la lecture, on a le sentiment d’une improvisation musicale.

C’est difficile et envoûtant, quand on aime ce style, on est toujours empreint d’un sacré sentiment de familiarité et d’étrangeté en même temps. – La familiarité par certaines références culturelles, par exemple le conte : Blanche-Neige, la Belle au Bois dormant… Une familiarité avec des références au quotidien d’une femme d’une quarantaine d’année qui écoute vaguement la radio en pensant à ses enfants. Familiarité de certains mots et tournures de phrases. – L’étrangeté avec d’autres références littéraires plus obscures (on les sent sans les connaître), d’autres mots ou tournures de phrases qui semblent sortir d’un vieux livre et que l’on prend plaisir à dire, juste pour la musique.

Du mélange des deux, c’est une drôle d’impression que crée le texte : le style littéraire d’Henri Meunier qui heurte, séduit, trouble et enchante tout à la fois, comme Aurore, son personnage qui échappe à toutes les conventions, malgré certaines apparences. Les images de Régis Lejonc sont pleines et évidentes, avec ces détails qui viennent accrocher le regard tout autant qu’il glisse dessus : détails dans le dessin, les couleurs, la mise en page. Pour répondre au texte d’Henri Meunier, on sent aussi une certaine familiarité doublée d’étrangeté. – la familiarité, en référence à des « personnages » féminins issus de la culture populaire, presque évidents : dans le conte, Le petit Chaperon rouge… la Reine de Blanche-Neige (le regard de celle de Walt Disney dans le miroir), peut-être un peu d’Alice au pays des merveilles, avec le thé, les tasses, le gâteau, Et puis, cette femme blonde au béret peut rappeler Faye Dunaway, dans Bonnie and Clyde chef d’oeuvre d’Arthur Penn ou Brigitte Bardot… et alors nous vient la chanson de Gainsbourg et tout son univers artistique qui se déroule… [1] – l’étrangeté c’est le mélange de ces références classiques et modernes, populaires et sûrement très savantes, on les sent, on les devine, sans les connaître. Elles fonctionnent comme une ambiance qui donnerait du sens à l’histoire. Il y a un éminent personnage dans ce conte, qui est déchu de sa fonction première.

C’est effrayant, car si on ne peut plus compter sur les contes pour nous nourrir, avec quoi allons-nous grandir ? C’est rassurant, car tout est tellement impossible dans cette histoire qu’on reste nécessairement dans le merveilleux. Il se dégage de ce livre une immense délicatesse et beaucoup d’humilité au service d’une histoire qui a l’air très banale dans un univers étrange et beau, où parfois on ne peut s’empêcher de trembler et de sourire devant ces « petits détails incongrus qui changent tout ». Et puis, j’ai le sentiment qu’avec ce livre, les deux auteurs inversent la logique habituelle de l’album illustré : on parle souvent de livres pour enfants qui s’adressent aussi aux grands, là, je crois que c’est le contraire et que tout repose sur un sentiment fort et complice. « Madame j’vous jure », c’est splendide ! « Ne jurez-pas… je vous en prie, ne jurez-pas ! » Et ben si, quand même !

 

Lisa Bienvenu

 

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Podcast de l’émission :

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